

Détails
- Date 26 Avr 2018
- Catégorie Autres
A propos
Pour caractériser le délit d’appels téléphoniques malveillants, les juges n’ont pas à établir que les actes ont été accomplis en vue de troubler la tranquillité d’autrui.
L’arrêt commenté illustre le fait que l’art de légiférer exige une parfaite maîtrise de la langue française dans ses différents aspects, y compris la ponctuation. Il concerne l’article 222-16 du Code pénal qui incrimine, depuis 1994, les appels téléphoniques malveillants et les agressions sonores. À l’origine, le texte réprimait « les appels téléphoniques malveillants ou les agressions sonores, réitérés en vue de troubler la tranquillité d’autrui » mais il fut modifié par la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 afin de réserver la condition de réitération aux seuls appels téléphoniques. Le texte a alors incriminé « les appels téléphoniques malveillants réitérés ou les agressions sonores en vue de troubler la tranquillité d’autrui ». On remarquera que le maintien du pluriel au terme « agressions » permet de douter que le but fut atteint, une seule agression sonore ne paraissant pas punissable (V. P. Conte, Droit pénal spécial, LexisNexis, 5e éd. 2016, p. 105, note 42).Enfin, une nouvelle modification a été apportée au texte, par la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 , dans le but de réprimer également les messages malveillants, c’est-à-dire essentiellement les textos ou SMS (V. Cass. crim., 30 sept. 2009 :JurisData n° 2009-049991 ). Dans sa rédaction issue de cette loi, l’article 222-16 punit « les appels téléphoniques malveillants réitérés, les envois réitérés de messages malveillants émis par la voie des communications électroniques ou les agressions sonores en vue de troubler la tranquillité d’autrui ».
Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, le prévenu était poursuivi pour avoir adressé plus de deux mille appels téléphoniques à un syndicat, téléphonant parfois plusieurs dizaines de fois en une journée, afin d’obtenir le soutien de ce dernier dans un litige l’opposant à son employeur qui l’avait licencié. La cour d’appel l’a condamné en relevant que cette multitude d’appels constituait un acharnement relevant d’un harcèlement, constitutif d’une intention malveillante à l’égard de la centrale syndicale, le prévenu ayant perturbé le fonctionnement du standard et importuné à de multiples reprises les salariés du syndicat, ce qui procède d’une intention de nuire, l’intéressé ayant, de surcroît, déjà été condamné pour les mêmes faits commis au détriment du même syndicat.
Le prévenu invoqua notamment, au soutien de son pourvoi en cassation, le fait que le délit de l’article 222-16 du Code pénal n’est constitué que si les appels téléphoniques litigieux ont eu pour objet ou pour effet de troubler la tranquillité du destinataire. Il s’agit là d’une lecture déformée du texte qui, en utilisant l’expression « en vue de », renvoie à l’intention et non pas à l’élément matériel de l’infraction. Le pourvoi se plaçait sur ce terrain parce que la cour d’appel avait, au contraire, insisté sur l’intention du prévenu.
La chambre criminelle a balayé l’argument en relevant que les juges avaient caractérisé des appels réitérés et malveillants, ce qui était suffisant parce que « l’article 222-16 du Code pénal , dans sa rédaction issue de la loi du 18 mars 2003, n’exige pas, pour réprimer les appels téléphoniques malveillants réitérés, qu’ils aient été émis en vue de troubler la tranquillité d’autrui ». En effet, la comparaison des différentes rédactions du texte permet de constater que depuis la loi de 2003, la virgule qui était placée après les termes « appels téléphoniques » et « agressions sonores » a disparu, ce qui a pour conséquence que l’expression « en vue de troubler la tranquillité » ne s’applique plus qu’aux termes qui la précèdent immédiatement, c’est-à-dire aux agressions sonores. Autrement dit, le texte réprime aujourd’hui trois sortes d’actes :
– les appels téléphoniques malveillants réitérés ;
– les envois réitérés de messages malveillants émis par la voie des communications électroniques ;
– les agressions sonores en vue de troubler la tranquillité d’autrui.
Il est probable que cette modification des éléments constitutifs notamment des appels téléphoniques malveillants résulte d’une erreur commise par les rédacteurs du texte puisqu’initialement le but de troubler la tranquillité était une condition commune aux différentes formes du délit. On peut cependant se demander si elle a réellement des conséquences sur la répression du harcèlement téléphonique. En effet, il est toujours exigé que les appels soient malveillants, ce qui peut relever à la fois de leur contenu (V. Cass. crim., 4 mars 2003 : JurisData n° 2003-018403) mais aussi de l’intention qui anime leur auteur, qualifiée par la cour d’appel ici « d’intention malveillante ». En pratique, cette intention peut se confondre avec le fait que les actes soient commis en vue de troubler la tranquillité du destinataire des appels. On ajoutera que l’arrêt commenté confirme que l’élément matériel du harcèlement téléphonique consiste uniquement dans des appels réitérés, quels qu’en soient les effets, notamment sur la tranquillité de la victime.